Arrabal en Chine
di Massimo Rizzante

Son oeuvre est monumentale.
Ma comptabilité remonte au 2009 et donc sera partielle: 19 volumes de pièces de théâtre, 12 romans, 6 recueils de poèmes, 11 essais, 4 livres sur le jeu des échecs, 7 longmétrages, 3 courtmétrages, 800 livres pour bibliophiles en collaboration parmi d’autres avec Roland Topor, Salvador Dalí, René Magritte, Enrico Baj, Antonio Saura, auxquels aujourd’hui il faut ajouter les 5 livres qui contiennent 20 poèmes de 20 vers illustrés par les artistes chinois Yu Minjun, Wang Guangyi, Zhang Xiaogang, Yang Shaobin e Wang Qing Song. Chez aucun artiste la qualité n’a pu supporter une telle quantité et une telle variété d’objets artistiques.
Chaque fois que je lis une des ses pages, je me demande si, face à l’oeuvre d’Arrabal, mon monde n’ait oublié à jamais le goût pour le jeu. Je me sens un héritier sans héritiers à la frontière de deux mondes: le monde d’Arrabal et le monde à moi, où à la reproductibilité technique de l’oeuvre d’art s’est ajouté celle de l’homme: un homme à l’air sérieux qui se promène à grands pas à éteindre la main de son clone en lui disant «Bonjour camerade!».
Contre le divin non sérieux d’Arrabal, mon monde oppose aujourd’hui seulement le souris desenchanté d’un art qui récycle son histoire. Elle entrevoit la possibilité de sa fin et veut se venger de ce qu’elle a créé dans le passé et pour ne pas succomber, cherche de faire de cette vengeance un agréable pic-nic.
Très peux d’artistes sont aujourd’hui capables de concevoir la liberté formelle en tant qu’un attribut spécifique de l’oeuvre d’art. Les faits semblent avoir gagné sur l’imagination et ne stimulent plus le désir concret de l’artiste: ils sont le concret. En d’autre termes, l’art a été phagocité par son contraire: l’information. Elle se borne à satisfaire son désir d’information – historique, sociale, politique, sexuelle.
Toute l’oeuvre d’Arrabal, avec toutes ses obsessions orgiastiques, ses cérimonies animalières, ses joyeueses dépravations et ses aventures gratuites, est au contraire un défi de l’imagination au terrble sérieux de l’Histoire: un défi personnel et artistique à la transformation de l’homme en cobaye du laboratoire idéologique du XX siècle.
Je me demande: le défi d’Arrabal est-il encore parmi nous? L’Histoire, entretemps, n’a pas arrête de révéler son visage diabolique: après vingt ans, le silence ermétique des tribuns du parti face au carnage de place Tienanmen en est une preuve. Je veux dire: le monde de l’homme du XXI siècle a-t-il d’une façon définitive renoncé à affronter par le regard irrivérent de l’art le visage terriblement sérieux de l’Histoire?
Ce que je sais c’est que même dans ces poèmes qui acompagnent les tableaux des cinq artistes chinois, le regard d’Arrabal n’a pas arrête d’affronter l’Histoire, en liant son expértience à celle d’une autre civilisation: son expèrience marquée par les victoires de l’imagination européenne et par les défaites de l’Histoire européenne. Dans un poème, qu’on trouve à côté d’un visage absorbé et presque pétrifié de Zhang Xiaogang, Arrabal se transforme lui-même dans ce visage, qui à son tour, «la main appuyé» sur le front, se transforme dans celui de Don Quichotte, père de toutes ses aventures:

Lassé du carnaval des spectres
Et du cirque des défilés
J’essaie, Quichotte, main appuyé sur mon front
Tête levée vers les nuages
De me rappeler qui je suis

Dans un autre poème, situé près d’une foule de visages dégligués par le rire qui ont dans l’arrière-fond les pirouettes des planètes – oeuvre de Yue Minjuin – Arrabal reconnaît Saturne et ses anneaux:

Deux planètes dont l’une ceinte de son anneau
Ne peut être que Saturne.
Mais rien de saturnien dans ce carnaval du rire.
Tous ces fous vont sans doute périr écrasés
Pulveérisés en une indicible et formidable
Apocalypse dont il n’aperçoivent même pas la menace.

Il n’y rien de saturnin dans les visages de Yue Minjuin. Pourtant, grâce à un seul vers, Arrabal arrive à aller à l’âme de ce rire apparement démystifiant. En fait, «le carneval du rire», dans notre XXI siècle, encore plus que dans le siècle précedent, confine avec «le carneval des spectres», comme les visages tristes et parfois bigarrés de Zhang Xiaogang ne sont que le revers de ceux riants de Yue Minjuin.
Dans notre XXI siècle, la frontière entre le comique et l’horreur, encore plus qu’à l’époque de Kafka, est toujours plus invisible. Et l’urgence économique et materielle de survivre est telle qu’elle met en danger toute autre forme de survie spirituelle. Arrabal et ses frère ainées, Kafka, Buñuel, Beckett, Fellini, le savaient. Et aussi le savent ses amis et artistes chinois de notre temps: «l’indicible et formidable Apocalypse» dont personne se semble percevoir la ménace, a toujours le même visage: celui serieux de ceux jeunes militants, la poignée levée au ciel, prêts à mourir pour leurs ideaux immortalisés par Wang Guangyi.
Ces visages, comme Arrabal écrit dans un poème entitré “Image et pouvoir”, ne savent pas prononcer dans le silence «Je doute, donc je suis», mais seulement chanter à gorge déployée et habillées «en rouge, en noir, en bleu» le refrain de l’humanité en uniforme: «Je crois et je suis les précepts».

Vénise, juin 2009

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